La transmission des pratiques ascétiques et mystiques
chez les premiers ascètes musulmans
d’après la Ḥilyat al-awliyā’ d’Abū Nu‘aym al-Iṣfahānī
L’œuvre du traditionniste et mystique Abū Nu‘aym al-Iṣfahānī (m. 430/1038), la vaste collection hagiographique, Ḥilyat al-awliyā’ wa ṭabaqāt al-aṣfiyā’[1], est une mine de renseignements pour l’historien de la pensée religieuse en Islam. Elle doit être lue cependant avec lucidité car elle obéit à une stratégie théologique bien définie : prouver que la sainteté mystique est non seulement légitime en islam sunnite, mais qu’elle est même le cœur de l’attitude du vrai croyant.
Abū Nu‘aym appartient en effet à cette nouvelle génération de soufis du XIème siècle[2], dont le souci et l’effort principaux sont de prouver que la mystique authentique est en tout point conforme à l’islam,cherchant à combler le fossé creusé entre le consensus sunnite et la mystique depuis le martyre et la mort de Ḥallāj (m. 309/922).
Dès lors, la transmission du savoir, du ‘ilm, occupe une place essentielle et reste le moteur et le véhicule d’une élaboration de la conception de la sainteté : le but hagiographique n’est en effet non pas de transmettre un savoir théologique, mais bien des pratiques et des expériences ascétiques et mystiques.
Il s’agira ainsi dans cette communication de se pencher sur le rôle que joue dans l’édification de ce ‘ilm la relation maitre à disciple et d’établir ses multiples conjugaisons ainsi que de relever les différents véhicules de transmission (vision, rêve, prodige, etc.). Aussi pourrons-nous relever le foisonnement spirituel de ces trois premiers siècles de l’islam, des siècles racontés comme un temps de construction du soufisme, un temps où la piété scrupuleuse, l’ascétisme, la mystique se confondent, un temps où la doctrine sunnite de sainteté s’élabore.
[1] Abū Nu‘aym al-Iṣfahānī, Ḥilyat al-awliyā’ wa ṭabaqāt al-aṣfiyā’, éd. Mustafa ‘Abd al-Qādir, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyyat, 2002, 10 volumes.
[2] Parmi eux, Qushayrī (m.1072) Al-risāla, Hujwirī (m.1071) Kash al-maḥjūb, Anṣārī (m.1089) Ṭabaqāt al-ṣūfiyya.